De nombreux navires ont sombré depuis que c'est arrivé et je peux maintenant en parler. Faire le récit de cette aventure qui débuta en janvier de l'année passée. Alors attendant mon heure sur l'île de Survie, je savais qu'un équipage s'agitait pour organiser une mutinerie universitaire. Un groupe que je connaissais bien, pour avoir fomenté avec eux diverses actions dont l'occupation de la Galerie des Amphis, un autre printemps plusieurs années avant.
Ce n'est pas de ceux-là dont je voudrais parler, eux que l'on appela le Comob' et qui prirent d'assaut l'Amphi 7 dans le mois de novembre qui précéda mon histoire, mais leurs exploits sont nombreux et leurs implications nombreuses.
Ce n'est pas non plus des marrants dont je vous parlerais, un autre groupe, composé d'enseignants-chercheurs et d'universitaires de tout poils, qui participaient à l'aventure.
Non, ceux dont je voudrais vous parler, dans une aventure qu'ils menèrent jusqu'au bout du monde, ce sont des pirates.
Nés dans l'océan de la Lutte, ils s'étaient rassemblés autour d'un drapeau noir et d'un bout de pelouse pour établir leur campement, en clamant haut et fort "le gouvernement campe sur ses positions, on campe sur le campus", "tout est à nous", "Liberté" et autres insultes au bon sens. La décru s'annonçait et il n'était plus question dans les discussions que de sauver nos études. Le temps était à la morosité pour beaucoup, mais pas pour nous.
Et j'emploie le nous car j'étais l'un d'eux. Il y avait Black Bart, Bellamy, le major Stede Bennet, Rackham, sa compagne Bonny et Mary Read évidemment. J'étais plutôt Misson, l'utopiste, et tous nous défendions l'idéal libertaire cher aux pirates. Ces noms n'étaient bien sûr pas les nôtres, j'anonyme ce récit, mais nous étions des pirates, c'était clair.
Le camp était construit sous un arbre, avec d'abord trois tentes, puis quatre, parfois davantage. Le matin nous nous réunissions avec les autres navires, afin d'établir un plan de route. L'après midi, nous cabotions jusqu'à l'Amphi 7, maintenant à nous, et dans lequel nous projetions films et documentaires subversifs. En début de soirée, nous nous séparions en deux navires. Le premier allait à bord d'une voiture sur l'île de Récup' afin d'approvisionner le camp en légumes et en victuailles diverses. Le second pêchait le bois sous les arbres du campus à bord d'un caddie en provenance de l'île d'Aldi. Il n'était pas bien difficile de ramener de quoi approvisionner tout le camp pour une nuit entière, avec force petit bois et quelques palettes.
Souvent, quelques marins nous prêtaient main forte en allant faire de l'eau pour la bassine de pâtes que nous cuisions sur notre brasero improvisé, ou en ramenant diverses flacons. De conception céhentiste, notre feu de camp était fabriqué à partir d'un caddie traversé par deux barres métalliques sur lesquelles reposait un demi tonneau coupé dans sa longueur. Parfait pour chauffer et cuire les récoltes du jour.
Une fois tout l'équipage réuni au camp, nous devisions avec véhémence autour du brasier, en regardant cuire nos pâtes et en buvant du rhum. Rackham avait un bon ami, Jacky, dont les vapeurs donnèrent aux soirées des teintes exotiques et envoutantes. Un des pirates ramena sa guitare, moi mon épinette des Vosges et à l'aide d'un tonnelet nous amusions la nuit. Fin ivre, il arrivait à quelques pirates de saisir un pinceau et de défier l'autorité nocturne, la patrouille des corsaires de Sécuritas, à la solde du Grand Capital.
Au premières lueurs de l'aube, les braises brulaient encore et on pouvait voir arriver les premiers colons se rendant à la Baie Hue, proche de notre mouillage.
Ce camp vécu deux mois, et fut ce qu'on appela une
TAZ, une Zone Autonome Temporaire, hors du temps, hors de l'Histoire, qui n'a pas changé le monde mais nous a juste changé nous, les pirates. Nous le baptisâmes Campement d'Utopie Libertaire et nous écrivîmes quelques pamphlets contre le monde. Et nous ne finîmes pas pendus, mais pourchassés par les corsaires et détrempés par une traite ondée, nous dûmes nous séparer pour un temps et faire voile chacun de notre côté, jusqu'à ce que la Fortune nous réunisses de nouveau un jour, et alors nous dresserons fièrement le drap noir, symbole d'espoir !