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> Commentaire composé, La Peste de Camus
Shadow Gate
Écrit le : Samedi 28 Avril 2007 à 19h56


Canidé ténébreux
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Bonjours les Zanarkandiens. Ca faisait déjà plusieurs années que j'avais pas posté un sujet ici. Je le fais d'ailleurs assez à contrecoeur, je préfère d'habitude travailler par moi-même, mais cette fois ça risque de pas le faire. Ce n'est pas que je n'aurai aucune idée sur le texte ou quoi que ce soit, mais je suis légèrement surmené en ce moment : en plus de ce commentaire, j'en ai un autre sur le Pantagruel de Rabelais à faire ainsi qu'un dossier de littérature moderne sur l'intérêt romanesque de l'itinéraire au XXème siècle à finir.
Donc, comme j'ai pas envie de passer mes cinq prochains jours à ne faire QUE ça (et mes nuits aussi), je vous demande un coup de main sur le commentaire du texte qui m'inspire le moins, afin de gagner du temps ^^.

C'est donc un extrait de La Peste d'Albert Camus, que je vous retape ici :

Le docteur serrait avec force la barre du lit où gémissait l'enfant. Il ne quittait pas de syeux le petit malade qui se raidit brusquement et, les dents de nouveau serrées, se creusa un peu au niveau de la taille, écartant lentement les bras et les jambes. Du petit corps, nu sous la couverture militaire, montait une odeur de laine et d'aigre sueur. L'enfant se détendit peu à peu, ramena bras et jambes vers le centre du lit et, toujours aveugle et muet, parut respirer plus vite. Rieux rencontra le regard de Tarrou qui détourna les yeux.
Ils avaient déjà vu mourrir des enfants puisque la terreur, depuis des mois, ne choisissait pas, mais ils n'avaient jamais encore suivi leurs souffrances minute après minute, comme ils le faisaient depuis la matin. Et, bien entendu, la souffrance infligée à ces innocents n'avait jamais cessé de leur paraître ce qu'elle était en vérité, c'est à dire un scandale. Mais, jusque là du moins, ils se scandalisaient arbitrairement, en quelque sorte, parce qu'ils n'avaient jamais regardé en face, si longuement, l'agonie d'un innocent.
Justement l'enfant, comme mordu à l'estomac, se pliait de nouveau, avec un gémissement grêle. Il resta creusé ainsi pendant de longues secondes, secoué de frissons et de tremblements comvulsifs, comme si sa frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les souffles répétés de la fièvre. La bourrasque passé, il se détendit un peu, la fièvre sembla se retirer et l'abandonner, haletant, sur une grève humide et empoisonnée où le repos ressemblait déjà à la mort. Quand le flot brûlant l'atteignit à nouveau pour la troisième fois et le souleva un peu, l'enfant se recroquevilla, recula au fond du lit dans l'épouvante de la flamme qui le brûlait et agita follement la tête, en rejetant sa couverture. De grosses larmes, jaillissant sous les paupières enflammées, se mirent à couler sur son visage plombé, et, au bout dela crise, épuisé, crispant ses jambes osseuses et ses bras dont la chair avait fondu en quarante-huit heures, l'enfant prit dans le lit une pose de crucifié grotesque.
Tarrou se pencha et, de sa lourde main, essuya le petit visage trempé de larmes et de sueur. Depuis un moment, Castel avait fermé son livre et regardait le malade. Il commença une phrase, mais fut obligé de tousser pour pouvoir la terminer, parce que ça voix détonnait brusquement :
- Il n'y a pas eu de rémission matinale, n'est ce pas, Rieux?
Rieux dit que non, mais que l'enfant résistait depuis plus longtemps qu'il n'était normal. Paneloux, qui était un peu affaissé contre le mur, dit alors sourdement :
- S'il doit mourir, il aura souffert plus longtemps.
La lumière s'enflait dans la salle. Sur les cinq autres lits, des formes remuaient et gémissaient, mais avec une discrétion qui semblait concertée. La seul qui criât, à l'autre bout de la salle, poussait à intervalles réguliers de petites exclamations qui paraissaient traduire plus d'étonnement que de douleur. Il semblait que, même pour les malades, ce ne fût pas l'effroi du début. Il y avait même, maintenant, une sorte de consentement dans leur manière de prendre la maladie. Seul, l'enfant se débattait de toutes ses forces. Rieux qui, de temps en temps, lui prenait le pouls, sans nécessité d'ailleurs et plutôt pour sortir de l'immobilité impuissante où il était, sentait, en fermant les yeux, cette agitation se mêler au tumulte de son propre sang. Il se confondait alors avec l'enfant supplicié et tentait de le soutenir de toute sa force encore intacte. Mais une minute réunies, les pulsations de leurs deux coeurs se désaccordaient, l'enfant lui échappait, et son effort sombrait dans le vide. Il lâchait alors le mince poignet et retournait à sa place.

Albert CAMUS, La Peste, 1947.


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kamixave ®
Écrit le : Dimanche 29 Avril 2007 à 10h35


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Ah Camus, un de mes grands amours smile.gif un très grand écrivain, un très grand génie même! Il paraît par contre que c'était un salop avec sa femme, qu'il tuait de chagrin à petit feu. Mais bref.

Ca fait des années que je n'ai pas lu La Peste, en fait. Mais grosso modo, je vois l'idée du texte. Je ne vais pas aller plus loin que de l'expliciter (si jamais ça t'es utile), je n'ai pas trop le temps pour faire une analyse plus poussée du texte.

Le problème de cet extrait, c'est qu'il ne donne pas une des phrases les plus importantes du texte, lorsque, au début de l'épidémie de peste, le prêtre de la ville dit : "Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères, vous l'avez mérité" (coup de bol énorme que je sois retombé directement sur cette phrase en la recherchant). Pour éviter le hors-sujet, on va se cantonner au point suivant : toute la question ici est celle de la Justice intrinsèque des évènements (j'adore les mots savants laugh.gif) ou, autrement dit, de la justification des évènements qui nous entour. C'est autour de ça que tourne ce texte.
La question est : pourquoi? parce que Camus, comme une large tranche des grands écrivains des deux siècles passés, est hanté par la question du sens de l'existence face au constat de l'absence de Dieu (deuxième moitié du XIXe : Nietzsche pose le concept de mort de Dieu). Ce texte ne va pas au fond de cette question, mais la traite sur deux points.

Tout d'abord, il fait remarquer cette absence de Dieu, ou du moins l'existence d'un Dieu révoltant, d'un Dieu monstrueux. Que des adultes souffrent, pourquoi pas : on peut toujours dire que c'est la juste contre-partie des pêchés qu'ils ont commis. Dès lors, on pourrait, avec un peu de gymnastique mentale, dire : Dieu existe, Dieu est juste, notre souffrance est méritée, notre existence à un sens par rapport à la religion. On peut déjà trouvé scandaleux cette idée de punition collective, mais à la rigueur, pourquoi pas : "Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères, vous l'avez mérité".
Mais si un enfant, "un innocent" (ton texte) subit cette peine, alors que dire? Peut-il y avoir un dommage collatéral, dans un monde où un Dieu serait présent, et où il serait juste? Surtout un Dieu qui a connu les souffrances de la chair, par le biais de son fils Jésus-Christ (d'où, peut-être, l'image de l'enfant comme endurant les souffrances du Crucifié). Tout ce texte mélange le religieux et la souffrance la plus intense, questionne le concept de Justice du Tout. C'est là que se trouve le grand drame. Un brin plus loin dans le bouquin, on peut lire "Il fallait admettre le scandale parce qu'il nous fallait choisir de haïr Dieu ou de l'aimer.". La conclusion est alors : soit Dieu n'existe pas, alors le monde est absurde, et alors les évènements n'ont pas à être justes ou injustes : ils sont; soit Dieu se veut juste, mais sa justice n'est pas juste selon notre conception humaniste de la justice : il a peut-être un justice, mais de cette justice, on n'en veut pas.

Le deuxième point est l'affirmation de la nature d'un des protagonistes contre cette injustice. Petit avertissement : dans ta copie, tu ne pourras pas dire que Camus dit ici que l'existence ne peut prendre son sens que dans l'humanisme. En réalité, il va au-delà de ça, mais pas la peine de se lancer là-dedans, parce que ce n'est pas la question. Le fait est qu'on a ici un protagoniste humain (ou les 2, j'ai pas vraiment lu l'extrait suffisamment pour les différencier), tellement humaniste que, par empathie, il ressent les souffrances de l'enfant, il souffre pour lui, tout ce qu'il voit, se sont ses souffrances. Il faut d'ailleurs voir qu'il a fait le choix d'aider les malades sans y être obligé, dans le livre. D'un côté, on a un monde absurde ou cruel, pour lequel la souffrance de l'innocent n'est pas un problème. Et de l'autre, on a un homme qui ne voit que cette souffrance. Qu'est-ce que ça signifie, concrètement? que cet homme a en lui des valeurs qu'il affirme, et qui ne sont pas celles de Dieu/de l'absurdité du monde. Il se révolte contre le sens supérieur du monde lui-même, si j'ose dire! Et j'insiste sur l'idée de révolte : c'est une idée centrale chez Camus (cf. l'Etranger). La révolte comme affirmation de soi, au lieu de céder à l'ignoble constat de l'absence de sens dans le monde, ou du moins d'un sens qui tienne plus de la tragédie que d'autre chose. La révolte comme dépassement du tragique, de l'absurde. J'ai peur ici de te mener dans un hors sujet, mais je rappelle cette phrase du texte :
QUOTE
Et, bien entendu, la souffrance infligée à ces innocents n'avait jamais cessé de leur paraître ce qu'elle était en vérité, c'est à dire un scandale

Là, je te laisse voir comment accommoder ce deuxième point selon le texte. Mais je pense que c'est une bonne chose de le garder en tête.



Au fait : en tapant mon pavé, j'ai aussi fait une digression sur le tragique, que j'ai au final détaché du reste du fait de son manque d'intérêt ici. Mais je me suis dit que ça pourrait peut-être t'intéresser, même s'il est très possible que tu le saches déjà parfaitement. Mais j'ai souvent l'impression que le principe fondamental de la tragédie est souvent mal compris par les étudiants, faute d'explication. Et vu que j'ai eu la chance d'avoir eu lesdites explications, et d'avoir eu du temps pour travailler dessus...

Le tragique est quelque chose de très très particulier, en littérature : c'est le cas précis où l'homme se retrouve obligatoirement coincé dans une rivalité insurmontable avec des forces qui lui sont supérieures.
Dans la tragédie grecque, l'homme fait tout pour éviter son Destin, mais il ne le peut pas par son action : les Dieux choisissent à sa place, et parfois même la lutte du protagoniste contre son Destin l'y amène encore plus rapidement. Horreur tragique que celle où tes actes n'ont jamais le sens que tu veux leur donné, où tout t'échappe, même ta clairvoyance...
Dans la tragédie du XVIIe, les forces supérieures sont les passions, qui sont en chaque homme comme quelque chose qui dépasse leur volonté, et qui les amène sans cesse vers les pires sorts qui soient, quelque soit ce qu'ils cherchent dans le fond... on se retrouve sans cesse dans des situations ignobles, où le protagoniste a dans le fond des souhaits de bonheurs et de paix, mais des moments de fièvre (Racine assimilait les passions à une maladie dévorante) l'amène à détruire ce pourquoi il luttait, puis il se retrouve en face des horreurs qu'il a commises; s'il devient fou, c'est sans doute le meilleur sort qu'on puisse lui souhaiter.
Et enfin, la tragédie du XXe... où cette fois, ce n'est pas exactement un force supérieure qui contrarie l'homme, mais l'absence de force supérieure. C'est ça, l'absurde. Si rien ne donne, dans l'Absolu, de sens aux choses, en quoi notre existence mortelle en aurait? L'homme cherche un justification à ses actes, il cherche Dieu, ou quoi que ce soit, mais il ne trouve rien, sinon un vide à la place de là où devrait se tenir ce qui donne du sens à son existence; et se vide est le reflet du vide de ses actes, quoi qu'il veuille... C'est un peu la concrétisation du fameux "le silence de ces espaces infinis m'effraie" de Pascal.



Petit indice : jette un coup d'oeil aux termes se rapprochant du religieux. Notamment le retournement de sens sur "immortalité", qui devient une peine tragique...



Voilà! j'espère que mon pavé n'aura pas été trop décourageant smile.gif j'ai fait long pour faire clair, mais j'espère que je n'ai pas été contre-productif. Et surtout, j'espère que je n'ai pas fait que dire des trucs que tu savais déjà....
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Écrit le : Dimanche 29 Avril 2007 à 12h18


Canidé ténébreux
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J'avais déjà relevé deux des trois grands axes que tu me propose (à savoir l'aspect religieux et le tragique), mais tu m'as ouvert des voies dans ces axes que je n'avais pas encore détéctées. Je t'en remercie, ça va me permettre de gagner beaucoup de temps dans l'analyse.

Si d'autres ont des idées, ou même des approfondissements sur ce qu'a dit Kamixave, je suis preneur de toute proposition, même les plus alambiquées!

En tout cas, merci Kami, ton pavé m'aide beaucoup ^^


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Écrit le : Dimanche 29 Avril 2007 à 15h10


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Yup navré, je me suis rendu compte vers la toute fin de ce que j'écrivais que je parlais à quelqu'un qui était en deuxième année de fac de litté, désolé jdevais donner l'impression de me croire avec un inculte =) mais bizarrement, j'ai pris l'idée que si c'était dans la grotte d'entraide scolaire, c'était pour le lycée "^^
Si justement y'a des trucs que t'aimerais que j'approfondisse dans ce que j'ai dit, hésite pas, si jamais je peux t'apporter quoi que ce soit (bien que j'en doute, j'ai pas fait tant de littérature que ça dans mes années passées). Mais c'est vrai que je ne connais pas vraiment tes attentes... jsuis plutôt philo, moi laugh.gif
Si jdébloque un peu de temps, jregarderai le texte en lui-même de plus près smile.gif m'enfin là, ça va être lecture de rapports sur les petites et moyennes entreprises en France... aaaarg biggrin.gif Fac de litté, ça doit quand même être plus passionnant que les fac d'éco laugh.gif
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Sven Lodorf
Écrit le : Dimanche 29 Avril 2007 à 15h59


A-ffable^^
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Kami> Non non, continue ainsi, c'est très bien, ça met le sujet à portée de tous(ou d'un plus grand nombre en tout cas)


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Heldred: Seules 3 choses sont infinies; l'univers, la bêtise humaine et la version d'essai de Winrar.
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Écrit le : Dimanche 29 Avril 2007 à 19h26


Canidé ténébreux
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Franchement Kami, être en deuxième année de lettres fait vraiment pas de moi une tête, et même si je suis pas non plus mauvais ou idiot, je pense que je suis largement perfectible, alors ne t'en fais pas, tu ne m'as pas donné l'impression de parler à un imbécile ^^" (mais peut être que de dire ça, ça me fait passer pour)

Si tu veux vraiment aider (comme tu as déjà bien commencer à le faire) et que ça ne te dérange pas ET SURTOUT que ça ne te prend pas trop de ton temps, je veux bien que tu dévellope un peu les deux propositions principales que tu m'as donné (et que j'ai retenu) qui sont :
-le rapport à dieu / la religion / la chrétienté
-le tragique (voir le pathétique, par moment)

Et si tu pouvais dévelloper tes idées par des recoupements vis à vis du texte, comme des chants lexicaux ou des figures de style, ou la tournure de certaine phrase, l'aspect de certains contextes, cela me permettrait de travailler directement sur cette matière première, et de me faire gagner énormement de temps (je dirais bien 60%).

Mais, comme dit, je ne t'oblige à rien et je ne me fâcherai ni ne me vexerai si tu ne le fais pas pour une des raisons susnommées (temps, motivation, etc.)

Surtout, merci pour ce que tu m'as déjà proposé! happy.gif

PS : faut pas hésiter à taper dans le métaphysique et le philosophique avec ma prof, c'est une fan du téléscopage stylistique XD elle peut te déblaterer toute une succession d'idées semblant logiques simplement sur la présence de virgules à certains points d'une phrase... (à tel point que ça en devient parfois presque ridicule tant c'est tiré par les cheveux laugh.gif )


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kamixave ®
Écrit le : Dimanche 29 Avril 2007 à 22h11


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@Sven : si y'en a qui on le courage de lire ça sans avoir à bosser dessus, hein laugh.gif


@SG : Et bien, j'avais un peu de temps avant de me pieuter, donc voilà ce que j'en ai tiré smile.gif

Le rapport à la religion :

du petit corps [...] montait une odeur de laine et d'aigre sueur" : le corps, et non la couverture, sent la laine; image du troupeau de brebis de Dieu, qu'il est supposé guider comme un berger?
Dans le deuxième paragraphe, la peste est entièrement décrite comme agissant de manière extérieure à l'enfant, tout comme les éléments. A cela s'ajoute le fait qu'elle soit plus ou moins personnalisée, et qu'elle soit décrite comme ("la fièvre sembla se retirer et l'abandonner"), et surtout dotée de caractères qui la font passer pour un émissaire de la vengeance divine ("le vent furieux de la peste", cette fureur du Dieu de l'ancien testament).
En fait, chose intéressante à remarquer : ici, Dieu n'est pas mort, dans la mesure où la ville continue à penser en termes de Dieu, de justice divine etc.. seulement, c'est là la découverte de l'injustice qu'il fait.
Bref, on continue sur le registre de la colère divine : la purification par le feu. Jte laisse voir la quantité de termes empruntés au champ lexical du feu, qui rappelle forcément la place du feu purificateur dans l'imaginaire chrétien, avec le "buisson ardent" qu'est l'esprit saint etc..
Et face à ce feu, qu'est-ce qu'on tire de ce petit corps d'innocent? de l'eau : sueur, mais surtout larmes... En réalité, les flammes n'ont ici aucun impact moral, dans la mesure où le môme n'a rien à se reprocher. Elles n'ont qu'un impact physique : cette eau, mais aussi ce corps ("la chair avait fondu", je mets l'accent sur le verbe fondre)... Il n'y a que de la souffrance, cette fois, et rien d'autre. La repentance de celui qui n'a rien à se reprocher.

Bon, on a noté le jeu de mot sur "rémission matinale", à mis chemin entre la rémission des péchés et la rémission médicale. Là où ça devient marrant, c'est que non seulement le môme meurt sans le mériter, mais que de surcroît il souffre plus que les autres. Et ça, c'est le Dieu-chat, qui laisse vivre la souris pour pouvoir jouer encore plus avec elle, la faire encore plus souffrir, in fine. C'est soit un Dieu joueur, soit un Dieu sadique. Et là, se défouler sur l'innocent avec l'apanage du Bien, ça tient de la perversion.

Notons en même temps la métamorphose du garçon en Jésus. Si l'on se place dans l'hypothèse d'un Dieu vengeur, on a un Jésus bis, un gamin avec tous les péchés du monde sur ses épaules; à ça près que Jésus a accepté ce sort, et que l'enfant "n'a rien demandé", si j'ose dire.
Un truc qui m'étonne, c'est qu'à la fin de l'extrait, Rieux accomplit, à sa manière, la communion : il boit à la coupe du sang de cet enfant, si j'ose dire. En tout cas, il communie avec l'enfant par le biais de son sang (et là, pas de doute, vu que le môme est présenté comme Jésus Christ, la communion est mise en scène). Mais là, que boit-il : le sang d'une alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour la multitude en rémission des péchés? ou bien est-ce cette fois la désalliance d'avec Dieu, du temporaire d'avec l'éternelle? (hoho, je suis fier de ma trouvaille). C'est peut-être là que ce fait "physiquement" la rupture, que Rieux boit à une coupe qui ne le laisse entrer que dans la révolte. Alors que les autres adultes laissent tomber ("il y avait même, maintenant, une sorte de consentement dans leur manière de prendre la maladie"), Rieux reprend le flambeau de l'enfant par cette communion du sang ("seul, l'enfant se débattait de toutes ses forces"). C'est là, la source de la révolte.




Bref, je m'arrête là, c'est l'heure de me pieuter, je fais pas le pont demain smile.gif J'espère que ça t'aura été d'une quelconque aide. De mon côté, j'adore franchement le travail d'analyse de texte, donc ne vois pas ça comme un sacrifice de ma part ^^ Par contre j'ai pas poussé bien loin, faute de temps.
Et désolé, j'ai pas trouvé de bon parallèle à faire en philo ou autre avec ça, mais je pense que ça serait en trop ici. Ce qui est propre au roman, ici, c'est qu'on n'est pas sur le plan des idées, mais du concret ("Mais, jusque là du moins, ils se scandalisaient arbitrairement, en quelque sorte, parce qu'ils n'avaient jamais regardé en face, si longuement, l'agonie d'un innocent. ").

Au fait, pour Rabelais, j'ai pas mal travaillé dessus (j'ai dû faire un dossier d'une taille assez respectable huh.gif). Si jamais c'est un texte très vulgaire, ou très foutage de gueule de la glose de son temps, hésite pas à le dire, j'ai bossé avec l'aide de deux grand bouquins sur le sens de l'oeuvre de Rabelais... Enfin si t'as le temps (ça doit faire 40 pages), je te conseille de lire l'intro de L’œuvre de François Rabelais, de Mikhaïl BAKHTINE. Ca sert de toute façon pour tout le comique dans la littérature moyenne-âgeuse.
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Écrit le : Lundi 30 Avril 2007 à 12h51


Canidé ténébreux
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Merci pour tous ses rajouts, ça m'aide vraiment! Je gagne du temps, et si tu tiens vraiment à m'en faire gagner d'avantage en jetant un oeil au texte de Rabelais (tu as l'air de vouloir y tâter) je te le donne, juste pour que tu te fasse une idée, tit curieux ^^

Donc c'est un extrait du chapitre 12 "Des moeurs et conditions de Panurge" :


En son manteau il avait plus de vingt six pochettes et bouteilles toujours pleines : l'une d'un petit dé de plomb et d'un petit couteau, affilé comme une aiguille de fourreur, dont il coupait les bourses ; l'autre de vinaigre qu'il jetait aux yeux de ceux qui le rencontrait ; l'autre de graterons emplumés de plumes d'oisons ou chapons qu'il jetait sur les robes et bonnets des bonnes gens, et parfois leur faisait de belles cornes qu'ils promenaient dans toute la ville, et parfois toute leur vie. Aux femmes aussi il en mettait parfois sur leurs chaperons, au derrière, fait en forme de sexe d'homme.
En une autre, un tas de cornets pleins de puces et de poux qu'il empruntait aux gueux du cimetière des Innocents, et il les jetait, avec des cannes ou plumes dont on écrit, sur les collets des demoiselles les plus sucrées qu'il rencontrait, et surtout à l'église, car il ne se mettait pas haut dans le coeur, mais demeurait toujours auprès des femmes dans la nef, à la messe, aux vêpres et au sermon.
En une autre, grande provision d'hameçons et de crochets dont il accouplait souvent les hommes et les femmes dans les assemblées où ils étaient serrés, et surtout celles qui portaient des robes de taffetas fin ; et quand elles voulaient se séparer, elles déchiraient leurs robes.
En une autre, un fusil garni d'amorces, allumettes, pierre à feu et tout l'appareil nécessaire.
En une autre, deux ou trois miroirs ardents dont il faisait enrager parfois les hommes et les femmes et leur faisait perdre contenance à l'église. Car il disait qu'il n'y avait qu'un retournement entre femme folle à la messe et femme molle à la fesse.
En une autre, il y avait une provision de fil et d'aiguilles dont il faisait mille petites diableries.


Ben en le relisant, je constate que ça m'inspire pas des masses... ARGH! Plus que trois jours mad.gif


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Écrit le : Mardi 01 Mai 2007 à 10h57


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Ahah heu non en fait j'ai pas trop d'idées pour ce texte, mais bon sang ce qu'il est drôle cet imbécile de Rabelais biggrin.gif
Enfin si, juste un truc sur ce que pense Bakhtine de la vulgarité qui règne dans les textes de Rabelais, et qui est fort à propos ici (mais on pourra t'accuser de trop te coller à la pensée d'un auteur, donc à utiliser avec précaution).

L'idée importante est qu'en fait, toutes ces conneries renvoient à la culture carnavalesque, au carnaval du peuple, propre à toutes les vulgarités qu'on retrouve dans ton extrait. Rabelais transpose dans l'univers noble le carnaval du peuple. Et pourquoi? Pour créer le rire populaire.

En fait jte recopie un petit bout de mon dossier.

"ce rire est très particulier : tout d’abord, il prend place dans un monde inversé, fait de parodie, non officiel : on s’affranchit du sérieux, et donc de la vérité dominante, de la hiérarchisation du régime (cf. parodia sacra). C’est un rire nécessaire au nouveau monde, car il est porteur de l’universalisme des humanistes, et il est le seul à même de poser, dans les faits, par un acte concret, l’égalité entre tous. Nous insistons particulièrement sur ce point.
Notons aussi que la deuxième raison de l’usage, ici, de ce vocabulaire, est que face aux sorbonnards, il ne faut pas se prendre à leur propre jeu de langage, mais leur répondre par ce rire qui les fait tomber de leur position illégitime et qui remet en cause le sérieux de leurs décisions.

L’usage du langage « ordurier », propre à l’univers carnavalesque est donc au centre même de la tentative de Rabelais de promouvoir les idéaux humanistes : il nous replace dans cet univers qui enlève aux hiérarchies, aux ordres, aux dogmes, à nos dogmes, tout leur sérieux. Et ce faisant, il nous débarrasse de nos préjugés, et nous prédispose à penser, à recevoir le contenu de la pensée humaniste, en lui opposant les temps obscurs. Et ce faisant, il créé le nouveau monde, un monde d’égalité de droits, d’égalité entre les hommes. "
Jcrois que ce qui est intéressant, c'est cette inversion des valeurs, le sérieux devient malgré lui porteur de l'absurde, alors que le je rappelle, la société à l'époque de Rabelais est très hierarchisée, et tient toute entière sur des dogmes, sur une idée de noblesse, qui sous-tendent un sérieux sans faille. C'est très hautement subversif, dans la mesure où ridiculiser quelque chose qui se justifie par son sérieux sans faille, c'est l'anéantir... Rabelais, hautement subversif? sans nul doute. Mais en tout cas, le rire ici est un rire qui détruit toutes les frontières sociales entre les hommes, qui créé l'égalité dans un monde où elle n'existe même pas de manière formelle... Pour rappel, Victor Hugo avait une phrase magnifique sur Rabelais : « … son éclat de rire énorme/ est un des gouffres de l’esprit ».



Bon, on te dira peut-être que t'es allé trop loin dans l'analyse. Mais ce n'est pas inintéressant d'avoir cet aspect en tête, en tous cas Wink.gif Surtout que Bakhtine est reconnu pour cette vision de Rabelais, donc ce n'est pas une pensée d'outsider des années 60. Enfin disons qu'elle a été acceptée Wink.gif

Vwala! ^^ pour le reste, bon courage smile.gif mais bon sang, c'est un tel plaisir à lire biggrin.gif
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